17 mai 2006

Saison touristique

Venise, le 17 mai 2006
Cher tous,

Je ne réussis plus à écrire, reprendre le fil des jours, des évènements, me retourner, m'arrêter dans la folle course vénitienne. J'ai un an de plus, presque cinq mois de vie à l'italienne, et un bagage de souvenirs qui devient lourd à porter. Mais je ne peux m'en délester encore.

Comment faire le tri dans toutes ces histoires, ces ruelles, ces personnes, ces discussions. Qu'en resterait-il au bout d'une lettre, qui serait oublié, exagéré, caricaturé ? Il y a tant de choses dont je veux vous parler.


Beaucoup a changé. Le soleil a définitivement chassé la brume, les touristes le mystère. Il ne reste quasi rien de ma Venise engourdie, déserte et abandonnée. Le cycle infernal ne s'est pas arrêté, et avec le soleil est revenue la saison touristique. Je me plaignais en mars?

Ce n'est pas grave. Je suis entré dans le troisième tome de mon séjour.. D'abord émerveillé, ensuite désillusionné, à présent devenu fou.

Mon accoutumance au quotidien vénitien ne m'a en rien guéri de l'étonnement. Chaque jour réserve sa surprise, chaque matin son inspiration. Je ne suis plus touriste, je vois les choses sans les avoir déjà vues. Je ne suis plus habitant, l'avenir de la ville ne m'intéresse pas plus que je ne suis résigné. Je perce la troisième couche. Ainsi découvre-je chaque jour une Venise surnaturelle, qui n'est ni celle des touristes, ni celle des Vénitiens. C'est ma Venise enfin, celle de mes aventures, une ville rien qu'à moi, un playground sans fin, qui s'allume au réveil et s'éteint quand je ferme les yeux.

Venise existe-elle vraiment, en dehors du mythe que je m'en suis forgé ? Peu importe, la ville irréelle m'offre une vie irréelle. Contrairement à Byron, je continue d'errer. Cette vie bohème que je mène, ou plutôt la complaisance avec laquelle je m'y prête, m'a si bien détaché de moi que je ne sais plus qui je suis. En gagnant Venise et l'univers au-delà de la ville, j'ai perdu mon histoire et certainement un peu de mon âme.

Voilà une autre âme, qui parle italien, plus vibrante, mais aussi peut-être plus superficielle, moins vraie.

Si j'ai presque oublié mon pays, je ne m'assimile pas celui-ci. Et celui-ci ne m'assimile pas. Serais-je étranger à l'un et l'autre ? Un barbare des villes du Nord, aussi gominé soit-il, ne nagera jamais assez profondément dans l'huile d'olive italienne.

Venise est-elle au Nord ? Le vin est cuit mais le poisson frit.

C'est à la gravité de certains malentendus que je m'aperçois de l'irréductible différences de nos origines. Le peuple italien me reste en grande partie inaccessible. Je ne saurai jamais ce que ces hommes se disent quand je ne suis pas avec eux.


Nous sommes tellement fatigués, et comme nous courons ! Pourquoi tous ces gens veulent-ils voir Venise, à tout prix mais très très vite ? Et pourquoi ceux qui y sont ne veulent qu'en partir ? Les avions quadrillent le ciel, le Piazzale Roma fait retentir ses klaxons jusqu'au Campanile de San Marco. Le monde entier passe et repasse comme de l'eau sous les ponts, et tandis qu'il transite à Venise, je n'arrive plus à en sortir.

Je tente pourtant de sortir du cadre. Il est si dur de vivre dans le cadre. A Louvain-la-Neuve, je vivais dans le cadre de mes études. Je suis venu à Venise dans le cadre de l'Erasmus. Ainsi le décor change ; celui-ci est plus profond qu'au Brabant Wallon. J'essaie de m'y enfoncer le plus possible, tout en continuant à faire mes devoirs.



Allez, je l'avoue, je ne sais plus écrire Venise. Chaque journée nécessiterait un livre, chaque instant des pages de description. Ce qui serait follement ennuyeux.

Je n'ai pas d'appareil photo. Une photo de Venise est plus légère que son reflet. Je l'ai prise dans des centaines de lieux, à toutes les heures du jour et de la nuit, mais je n'ai jamais eu sa couleur, son odeur, son âme. Je suis un mauvais photographe et un piètre écrivain. Je ne sais pas dessiner. Pas d'armes pour la prendre, je ne peux vous la transmettre.

Mais je me sens vivre. Venise m'éblouit, m'exaspère, me passionne, me fait peur. Je suis heureux de comprendre. Je ne peux plus vous décrire Venise en poète, je ne peux plus la lyncher en journaliste. Je suis plus loin, dans une expérience silencieuse, ni positive ni négative, mais d'une rareté enthousiasmante.

Suis-je vraiment heureux où ai-je endormi mes peurs?

Voici, pour me dédommager, des cartes postales d'autres villes, quand j'ai eu le courage de quitter la lagune.

Vérone :



Je voulais aller à Trieste avec Aniel, je suis allé à Vérone. Le soleil de plomb et le temps réduit nous ont contraints à une visite superficielle de la ville. L'ennui aussi de lire et de s'instruire, Venise demande suffisamment d'effort. Je ne suis pas rentré dans les églises, certaines remarquables paraît-il.

J'ai donc humé l'atmosphère de la ville, surnommée la Piccola Roma par les cons, à l'influence clairement vénitienne. Assez triste au premier abord, Vérone réunit dans son centre historique des richesses incroyables. Entouré par l'Adige, grand cercle d'eau qui fait oublier la mer vénitienne, Vérone est délicate, tranquille et surtout italienne. Il y a l'Arena romaine, grand amphithéâtre romain du 1 er siècle qui projette son ombre sur toute la Piazza Brà, il y a le Duomo au portique original, le Palazzo degli Scaligeri, qui appartint à une famille Scaligeri, qui régna sur la ville durant des décennies, la Loggia del Consiglio, belle bâtisse baroque, etc. Les palais, les villas sont vénitiens. Les maisons aussi, sans les canaux et le manque de place, elles sont plus grandes et plus solides.

Nous sommes montés sur la colline après le repas, nous asseoir sur le promontoire devant le Castel San Pietro, château autrichien du 19 e siècle. Nous surplombions la ville avec lui, et, par-delà le fleuve, l'ensemble de la région. En redescendant, nous avons visité le Castel Vecchio, très bien restauré par un architecte dont j'ai oublié le nom, mais qui est admiré d'Aniel.

Le balcon de Juliette est une vaste blague mais permet de contenir les touristes les plus laids au même endroit.

Trieste :


Avec Aniel de nouveau, je suis allé à Trieste par l'omnibus. Nous avons traversé le nord du Veneto et le Frioul, jusqu'à la Slovénie. Nous nous sommes arrêtés à Gorizia, ville exemplaire de la nouvelle Europe, coupée en son milieu par la frontière. Pas n'importe quelle frontière, une frontière séparant deux mondes, même quinze ans après la chute métallique du communisme.

Tandis que je mettais le pied en Slovénie, mon pauvre ami albanais restait bloqué à la frontière, n'ayant pas le visa nécessaire à pareille transgression.

Nous avons repris le train, parcourant la dernière vallée industrielle d'Italie ; Monfalcone, des gratte-ciels dans les champs, des aqueducs cachés par les vignes et des collines avant les montagnes, sèches et asséchées par la terrible Bora, sévères ; enfin Trieste, entourée, encerclée. Nous somme passés à travers la montagne.

Que penser de Trieste ? ville d'air et d'eau, à la lourde architecture, à la population muette et peureuse, parfumée d'autrefois, survivant comme une exception, à l'identité ambiguë : latins gênés, slaves planqués ou autrichiens errants ?

En sortant de la gare, tout est carré et massif, les avenues grises ; les voitures silencieuses glissent sur la pente qui va des rocs à la mer. Dans les petits parcs germaniques, des arbres déprimés montent chercher l'air, les uns par-dessus les autres, assaillis de tous côtés par des immeubles à vingt étages. La mer au fond, là-dessous, où le vent nous conduit.

La ville invisible gronde, gémit, murmure tout autour, attendant l'heure où l'obscurité viendra couvrir les rhumatismes de ses vieilles avenues restées probes mais tremblantes. On a oublié Trieste au bout de l'Adriatique, elle se cache en attendant, se tait, mais reste digne et ne plie pas sous le temps et le vent. Après tout, l'horizon est sans fin, bien loin derrière le Miramare et les dernières péniches.

Adriano nous a accueilli chez lui, dans le centre piétonnier. Nous avons couru dans le vent, dans la pluie. Le samedi, l'ingrate Bora a arrêté notre marche solitaire vers Miramare, nous repoussant sans cesse en arrière, nous empêchant de respirer sur les collines surplombant la mer immense.

Alors nous sommes sortis dans la nuit vide, et nous avons bu jusqu'au jour.

Vicenza :
Départ mouvementé pour Vicenza. Maria-Luisia m'attend dans sa Seat Ibiza rouge et m'emmène faire le tour du centre historique dans un lundi matin frais et désert. La ville est toute en harmonie, dû surtout à la lourde présence de Palladio. J'ai vu le Duomo, la Basilica Palliadiana, la chiesa Santa Corona, le Teatro Olimpico. Nous sommes allé voir la vue du haut de la colline, près de la célèbre basilique de Monte Berico. Nous sommes ensuite rapidement passés devant la Villa Rotonda et la Villa ai Nani.

Pour la première fois, j'ai vu la campagne italienne, le Veneto sauvage.

Ah que le tour en voiture m'a plu. Sous un ciel noir de nuages, les couleurs et les odeurs tourbillonnaient menaçantes autour de nous. Nous sommes allés vers le Nord, là ou le plat Veneto se fait plus cabossé, pour finir dans les nuages. Marostica est charmant, avec sa place pour jeu d'échecs géants, et son château invraisemblable accroché sur la colline par une série de murailles tombantes jusqu'au sol comme une ceinture de sécurité mal attachée. Bassano était calme, ça sentait la grappa sur le ponte dei Alpini, où la Brenta est la plus belle.

... et ainsi de suite.

Demain, je pars à Rome, quelques jours. Plus par devoir que par envie. Parce que sinon je vais le regretter. Comment peut-on aller à Rome après Venise? Je verrais bien, mais je dois vider un peu ma tête trop remplie. Je vous raconterai.

Guillaume.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Bonjour,

Moi qui suis dyslexique et piètre écrivain, j'ai adoré votre plume!!

Je suis moi même expatriée (mais à New-York, presque l'antipode de Venice!) et vos mots raisonnent forcement dans l'oreille d'une expatriée.

Je suis arrivé par hasard sur votre blog car je m'apprête à partir à Venise pour 6 jours. Et je n'ai absolument pas envie de faire un séjour marathon... quitte à rater les grands classiques de Venise, c'est les petits coins qui m'intéresse... (votre index des églises va donc trouver toute son utilité!)

Voilà, je voulais juste vous dire que votre écriture m'avait touché.

Merci

jeudi, 21 mai, 2009  

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